SAINTS AND STRANGERS (OCTAVIO)

Il faut croire qu’après toutes ces années à servir la même cause, à effectuer les mêmes tâches, l’adrénaline est quelque chose qui ne disparaît vraiment. Elle stagne dans un coin, je crois et réapparait de temps en temps, quand il le faut, au bon moment – grâce à elle on se sent encore un peu vivant, moins enlisé, plus vif.
Aujourd’hui, elle est bien là. Elle est encore plus forte, aussi, parce qu’elle est mêlée à une sorte de peur – devrais-je dire, pression ? Oui, pression, c’est mieux. Comme la pression qui m’alourdit un peu les épaules, qui me donne la sensation de porter quelque chose sur mon dos, d’être suivi et qui me fait transpirer un peu aussi, c’est vrai.
C’est parce que je suis avec Octavio, nous sommes étroitement mêlés dans cette affaire.
De toute façon, nous avons toujours été étroitement mêlés, avec plus ou moins de distance. C’est que nous sommes arrivés tous deux au même endroit avec probablement les mêmes peurs et les mêmes questions muettes, là, au fond du crâne. Ces choses qui te paralysent d’abord et qui te font avancer ensuite, avec la confiance.
Deux garçons impressionnés, influençables.
Aujourd’hui nous nous retrouvons là, tapis dans l’ombre, retenant notre souffle, le mien un peu plus et je crois que j’étouffe. C’est que les années ont passé, déjà deux décennies et qu’à la fois tout a changé et il me semble que c’était hier, que c’était comme les premières fois.
La même adrénaline, celle qui bourdonne dans le ventre.
Chez moi, la peur de décevoir en plus parce que j’ai encore à prouver ma valeur.
Octavio, lui, il a déjà tout.
Il porte déjà sa couronne.
Nous sommes tapis dans l’ombre, là, silencieux. De temps en temps, je jette un regard à Octavio, attendant ses ordres qu’il me lance en langage des signes. C’est qu’à force de s’exprimer dans le silence, on développe des codes posturaux qui veulent tout dire.
Ce n’est ni plus ni moins une traque, une chasse au traître. Ce maquereau, là, dans nos rangs, qui semble couver quelque chose de pas net du tout. Le Serpent dans la Bergerie.
La figure de Dieu nous surveille tous.
Les scènes bibliques sur les vitraux aussi.
Le traître est avancé sous la nef.
Je regarde Octavio avec une tête qui demande « et maintenant, on fait quoi ? »