lotterie (blue)

t'as compris le jeu petit merdeux ? c'est la roulette, tu choisis pas.

y'a des soirs où elle sait pas ce qu'elle fait là, svea. elle déambule dans les rues de la cité, les pieds qui raclent le sol, les mains dans les poches et la tête baissée. les cheveux qui tombent devant son visage d'enfant, les joues rosies par le froid et le mauvais temps. les vêtements trempés par le déluge qui s'abat sur sa tête, la capuche protégeant le peu de fierté qu'il lui reste. le ciel a décidé de verser ses larmes ce soir, une fois de plus. il n'arrête pas de pleuvoir ces derniers temps, comme si la vie s'était accordée à l'humeur de l'enfant. comme si pour la première fois depuis dix huit ans, elle avait écouté ses plaintes et ses tourments. ça en devenait presque beau. toute cette pluie. comme si les gouttes d'eau pouvaient effacer tout ses troubles qui ont mit tant d'années à se former. comme s'il suffisait d'une averse pour que tout s'inverse. ridicule, vous direz. pourtant, la gamine s'est enfin autorisée à espérer. pour la première fois depuis bien longtemps, ses rêves resurgissent dans son esprit torturé, pour soigner quelques plaies qui n'ont jamais pu se refermer.
quelle connerie, elle ne pourra jamais totalement guérir. elle est abimée à vie. délabrée. amochée. mais pas totalement détruite. il y a certes, plusieurs morceaux de vie qui se vont barrés à vie, mais elle reste entière pour le moment. elle n'est pas anéantie. pas pour l'instant.
elle regardait la ville d'un oeil distrait, comme si elle la découvrait pour la première fois. le rouge des briques qui ressortaient sang. les tags délavés qui décoraient les murs et les amochaient en même temps. les flaques de pluie qui s'étalaient à perte de vue tout en grandissant. c'était pas censé être beau, mais svea avait fini par s'attacher à cette ville. trouver de la beauté là où il n'y en avait pas. remarquer des détails sans importance, mais qui au final faisaient toute la différence. cette ville était la sienne, qu'elle le veuille ou non. sa maison. son foyer. chez elle.
elle connaissait les rues et les quartiers. les bars et les boites. les gens et les clans. elle pouvait reconnaître certaines personnes lorsqu'ils passaient à côté d'elle, lorsque leur visage s'éclairait dans la lumière de l'hiver, et laissaient apparaître leurs yeux fatigués et défoncés. et elle croisait aussi parfois, au détours d'une rue, des gars pas très sympas. une, deux trois personnes, qui s'attaquent toujours aux plus faibles. aux plus vulnérables. vous savez, ils vous abordent toujours de la même façon, l'espoir que vous soyez ce genre de fille facile, qui couche pour un rien. qui se laisse faire pour un rien. "hé toi. ouais toi là, la demoiselle. tu veux pas venir avec nous ce soir ? on sera sympa, on t'promet" sauf que dès fois, ça marche pas. on les évite. on leur parle pas. sauf qu'ils nous rattrape plus vite qu'on ne l'aurait pensé. et puis ça dégénère. encore une fois. "tu veux pas venir ? pas de problème, mais avant tu vas nous donner gentiment ton sac, salope" et ça insulte. et ça blesse. et elle peut rien faire, l'enfant. et lorsqu’elle se débat, ça empire. son corps rencontre le sol. c'est violent et on ne s'y attend pas. ça fait mal aussi, mais faut pas le montrer, sinon, ça veut dire qu'ils ont gagné. faut se relever, même si on a mal. même si on est brisé et qu'on arrive plus à avancer. faut continuer à se battre, sinon c'est foutu. et on veut pas que ça le soit. "connard" il y a des gens qui regardent, mais personne qui intervient. on sait jamais si c'est la peur qui bousille leur cerveau, ou c'est juste qu'ils sont pas courageux, mais ils ne bougent pas d'un pouce. ils fuient le conflit, parfois n'y jettent même pas un seul regard. "y'a personne pour t'aider gamine. alors j’obéirai à ta place" et puis dans ces moments là, t'as deux solutions qui s'offrent à toi. soit t'écoutes. soit tu cours.
et svea, elle n'est pas du genre à écouter.